Article sur « Too Much Love Will Kill You » par Jean Maillard

Too much love will kill you

Par Jean Maillard (critique et docteur en cinéma) Juin 2012

 Too much love will kill you du jeune réalisateur Christophe Karabache est un film de transgression qui se présente comme une forme de critique radicale où l’intime se confronte avec le politique.

Le film correspond au point de vue d’un individu, le cinéaste, sur son monde qu’il observe de près. Karabache s’attache aux personnages repoussés dans les marges, paumés, isolés, solitaires, qui donnent l’impression d’une lassitude, d’une permanente vacuité. Sans les défendre ni les victimiser, il les montre tels que la société les a faites avec leurs comportements excessifs ou pervertis.

Aucune tentative d’explication psychologique ou vraisemblable. Comme un bloc de vérité nue, à recevoir en pleine tête. Avec poésie crue, les motifs des tableaux se répondent, s’associent ou se contrarient. C’est un cinéma de la secousse, de la confrontation, de l’hétérogène où la caméra n’est pas là pour traduire une vérité mimée, elle est le couteau qui agit à vif sur l’acteur (ou le non-acteur) comme surface sensible en tranchant la peau de la réalité.

Le film propose une vision sur deux sociétés. On se déplace de la France jusqu’à Beyrouth. Le commencement français est vu comme une introduction dans laquelle l’auteur montre par une mise en scène glacée l’idée de l’amour impossible. Mais le film parle surtout du Liban dans un contexte social très précis. Le cinéaste dévoile une tranche du pays, de façon singulière, en mettant de l’étrangeté et de l’absurdité.

Les déliaisons entre les images et les sons déconcertent le spectateur et dynamisent le rythme du montage elliptique. Avec les intervalles entre les plans, le film crée une suspension et une interaction entre les éléments, les personnages, entre le champ et le hors champ, le rêve et la réalité, entre le passif et l’actif, la fiction et le documentaire.

Karabache dépeint avec force la cruauté du comportement humain, montrant les rapports qu’a le Liban avec le confessionnalisme, la sexualité (frustrée), l’argent, le fascisme banal, mais aussi avec la guerre. Il met de l’attente au centre de son œuvre. Les bribes sonores et les fragments d’images créent un espace et une temporalité en tension. Egalement une autre tension conjugue le plan et le raccord, tout comme les tensions entre les corps des personnages qui s’accrochent impulsivement.

Christophe Karabache est dans le film. Il est l’auteur-réalisateur et l’acteur. Cette présence influe l’actrice russe et les non-acteurs libanais. Un cinéaste/acteur qui cautionne les accidents de tournage et les intègre à part entière dans sa création. Le cinéaste décadre, décentre les figures. Il laisse une part fragmentaire dans ses plans qui ne sauraient être qualifiés d’homogènes, car ils sont constitués de différences de tonalité, de luminosité, d’intensité, de vitesse, tantôt lente, tantôt frénétique.

Un film politique très sexy qui critique, questionne radicalement et subjectivement. Vis-à-vis du spectateur, le film n’est pas complaisant mais provocant qui ne peut le toucher que brutalement et par surprise.

Too much love will kill you est conçu comme un poétique rêve terrible conduisant à « une crise complète après laquelle il ne reste rien que la mort ». Antonin Artaud